Lauréat du Prix Bob Calle 2025 du livre d'artiste
Invitée en 2024 à exposer sur le barrage de Mauvoisin en Suisse, Joan Ayrton a choisi de photographier le barrage et le paysage environnant avec un appareil nommé Tessina, apparu sur le marché à la fin des années 50, au moment où s’achevait le chantier de Mauvoisin. Le projet propose un vis-à-vis historique, liant deux ingénieries contemporaines l’une de l’autre, deux objets emblématiques de l’ère moderne, celle d’une construction massive de barrages dans les Alpes suisses, celle d’une industrie horlogère qui, suite au krach boursier de 29, a dû se réinventer, investissant le domaine de la photographie. Le barrage et le Tessina sont aussi de puissants générateurs de récits, on aurait retrouvé un Tessina dans la poche de l’un des faux plombiers de l’affaire du Watergate, et on le voit en usage dans l’Étau, film d’espionnage d’Alfred Hitchcock sorti en 1969. Fictionnels ou réels, ces récits évoquent une histoire moderne de crises, dérèglements et catastrophes géo-politiques.
Mention spéciale du jury 2025
Oei est le titre d’un carnet que Guy Rombouts (né en 1949) a rempli du début à la fin avec le mot « oei », pendant une semaine au mois de juillet de l’année 1976.(« oei » [uj] est une interjection néerlandaise exprimant une réaction spontanée à un événement inattendu. L’équivalent anglais le plus proche serait « ouch », et en français serait « aïe »). En tissant ce mot comme un long courant de pensée à travers les pages du livre, sous des formes toujours différentes, on crée une litanie primitive dans laquelle les erreurs sont chantées encore et encore dans toute leur impossibilité.Le fac-similé du carnet Oei est publié en entier et en taille réelle dans Posture Pockets N°3
Mention spéciale du jury 2025
IUZZA de Francesca Todde raconte l’histoire d’une rencontre, d’une traversée nocturne à la recherche de Goliarda Sapienza.
« Iuzza » est le surnom affectueux donné à l’écrivaine dans son enfance en Sicile, où elle naît en 1924. La symétrie revue et corrigée entre sa biographie et son œuvre est remplie de présences invisibles : la vigueur de son aventure littéraire ressemble à un trésor rescapé d’une épave. À partir des romans, poèmes, nouvelles, lettres et dossiers personnels de Sapienza, IUZZA se dévoile comme un voyage intime déclenché par des forces antagonistes, qui bouleversent la nature des formes et transforment les mots en images. La séquence d’images se compose de sept sections qui fonctionnent par le déplacement temporel, les références textuelles et les événements concaténés. Chaque partie provient d’un dialogue indirect avec sa propre absence, comme une sorte d’échange télépathique à travers l’espace vide visant à magnifier la perception des connexions émotionnelles. Les photographies de Francesca Todde sont comme des paysages intérieurs, ou des espaces animés sautant sur les lignes floues de la mémoire. Son regard à travers la lentille semble s’ouvrir sur une agitation déserte, suivant des empreintes délavées jusqu’à leur origine, qui est enfantine et ancestrale, animale et minérale : ces images sont des traces hantées par le sentiment que le corps est partout. (Extrait de l’Afterword par Luca Reffo)